Dans « Indignation » (Gallimard) Philip Roth peint un destin tragique dans l’Amérique des années 50. Poignant.
Une chronique de Frédérique Bréhaut
Marcus Messner, le narrateur de cette histoire, est mort, haché menu pendant la guerre de Corée. Il n’avait pas encore 20 ans, des désirs et des frustrations, des révoltes et des doutes.
Pressé de fuir le New Jersey et l’éducation autoritaire de son père, Marcus s’inscrit dans une université de l’Ohio. Avec de beaux habits en guise de viatique, il est prêt à commencer une nouvelle vie loin de la boucherie paternelle. Or, ce garçon sérieux comme peut l’être un fils unique élevé dans les principes, déchante.
La vie du campus l’agace. Les fraternités, la promiscuité avec des coutumes insupportables et quelques relents racistes douchent ses attentes. Celles-ci se rétrécissent alors autour de deux pôles : ses études et Olivia. Délaissant le territoire de la vieillesse avec ses renoncements, écho des défaites du corps, Philip Roth n’en perd pas pour autant sa cruauté.
Sur fond de guerre de Corée, sa peinture de la jeunesse américaine des années 50 traduit la froide lucidité de l’écrivain. Winesburg, petite fac provinciale ultraconservatrice, cristallise les tensions d’une jeunesse corsetée par des codes rigides. Marcus, rétif aux marques imbéciles de l’autorité, trouve sa respiration (la perd aussi parfois) auprès d’Olivia, condisciple alcoolique et déjà rescapée d’un suicide. Prisonniers plus ou moins conscients des carcans de la société, les étudiants se lâchent parfois, libérant ainsi les frustrations accumulées en bacchanales juvéniles ou en jeux qui défient la mort.
Quatre années plus tard, l’Amérique scandalisée découvrira les déhanchements d’Elvis et l’insolence de James Dean dans « La fureur de vivre ». Mais à Winesburg, on en n’est pas encore là et les caractères les plus audacieux paient cher leur émancipation. Pour avoir refusé de plier, Marcus se retrouve confronté au sort qu’il craignait le plus : viré, mobilisé, envoyé en Corée et tué. Depuis les limbes, le jeune homme indigné rumine les détails de sa vie et le conseil paternel. « Le plus petit faux pas peut avoir des conséquences tragiques ».
L’Amérique peinte par Philip Roth prend un relief singulièrement concret tandis que retentissent les slogans du Tea Party.
Traduit de l’anglais par Marie-Claire Pasquier.
« Indignation » de Philip Roth, Gallimard, 17,90 €.