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31 mars 2012 6 31 /03 /mars /2012 18:25

Dans « Le Portique » (Editions du Rocher), de Philippe Delerm, le lecteur retrouve cette prose toute de charme et de simplicité, cette élégance légère et nostalgique qui lui renvoie le bonheur en miroir.

 

Une chronique d'Olivier Quelier

 

9782070421817.jpgCe fut comme une révélation. Là, au milieu de ce jardin qu’il ne fréquentait qu’en dilettante, spécialiste de la tonte régulière et pas trop rase, aide ponctuel de son épouse Camille, grande prêtresse de ce domaine qu’elle couvrait d’attentions et de fleurs multicolores ; là, au milieu - juste entre le sage ordonnancement et les grandes herbes folles qu’il faisait faucher une fois l’an - comme une frontière entre deux mondes, Sébastien avait décidé de dresser un portique.

 

Camille lui avait fait remarquer qu’il s’agissait davantage d’une pergola, mais Sébastien réfutait ce vocable. Il suspectait dans ce mot trop de préciosité, « une espèce de prétention amidonnée masquée de désinvolture italianisante ». Le portique, lui, évoquait une sagesse hellénique et une porte, aussi, « le signe d’un passage dont il ignorait le sens, mais qui gagnerait en substance avec sa construction ».

 

L’écume de la vie

 

Sébastien est un personnage comme les aime Philippe Delerm. Proche, avec ses faiblesses avouées et ce vague à l’âme qui saisit le cœur sans qu’on sache trop pourquoi. A 45 ans, professeur de lettres dans un paisible collège de la campagne normande, Sébastien Sénécal n’est « pas dans la force, mais dans la faiblesse de l’âge ».

 

Longtemps, il « a négocié une voie médiane qui lui permettait de pratiquer un métier intéressant tout en goûtant l’écume de la vie ». A quelques semaines des vacances de Pâques, il est victime de vertiges, se sent « comme à l’envers de lui-même ». Il devine qu’il se prépare une petite dépression. Lui qui se croyait doué pour la vie, le voici pris d’une « fragilité désagréable et vaine ».

 

Tout lui devient pénible : « Faire la queue chez le boulanger (…) échanger quelques phrases debout sur le trottoir ». Tous ces instants qu’en d’autres moments Philippe Delerm qualifia avec succès de « plaisirs minuscules ». Fidèle à son style, l’auteur prend le temps de citer les fleurs du jardin de Sébastien, le nom des billes qu’il retrouve par hasard et lui rappellent son enfance, ces passages de nostalgie qui, sortis de leur contexte, sont d’une mièvrerie un brin ridicule.

 

Comme « Candide », de Voltaire

 

Pour se ressaisir, Sébastien a l’idée de bâtir un portique au milieu du jardin, comme « une volonté un peu dérisoire de construire un passage – entre quoi et quoi ? » Il se souvient du « Candide » de Voltaire et cultive son petit domaine, parce qu’il y trouve l’apaisement et peut y échapper à un monde qui ne lui convient plus guère.

 

Il ira plus loin, tracera dans les herbes sauvages une allée à l’anglaise, comme pour retrouver son chemin au milieu des brumes qui l’assaillent, finira sa thérapie en entreprenant des travaux d’ampleur, juste pour faire plaisir à sa femme, lui dire qu’il l’aime et que, oui, c’est certain, il va mieux.

 

Sébastien, comme l’auteur, « avait toujours senti en lui à la fois cet accord avec les choses de la vie et la possibilité de prendre avec elles la distance nécessaire pour le goûter en spectateur ». C’est sans doute là que réside la magie de Delerm. Dans ce plaisir du quotidien indissociable d’une certaine nostalgie, vécue avec un recul riche d’humour et, surtout, de généreux talent.

 

« Le Portique » de Philippe Delerm. Editions du Rocher et Folio.

140507AJM

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