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1 septembre 2011 4 01 /09 /septembre /2011 15:15

NDLR : Le texte qui suit a été rédigé par Adrien Lablanche, étudiant UFA à l’Institut pratique de Journalisme de Paris, dans le cadre d’une session consacrée à l’interview longue. Il a rencontré, il y a quelques mois, le romancier Patrice Pluyette. « book.emissaire » publie aujourd’hui cette interview (actualisée) pour marquer la sortie du nouveau livre de Patrice Pluyette, « Un été sur le magnifique », aux éditions du Seuil.

 

Choisi pour séjourner à la villa Médicis, à Rome, pendant un an, il compte déjà deux prix littéraires dans sa besace d'écrivain. Son cinquième ouvrage, "La traversée du Mozambique par temps calme" (Seuil), figurait dans la sélection du Goncourt 2008 et vient de paraître en poche (Points Seuil). A seulement 33 ans, Patrice Pluyette enchaîne les succès.

 

Nous le rencontrons trois jours avant son départ pour l'Italie. Cheveux ébouriffés, et tout de noir vêtu, c'est à la terrasse d'un café de la Trinité-sur-mer (Morbihan), près de chez lui, que le jeune auteur donne rendez-vous. Face à l'océan, il se confie longuement. Avec calme, il évoque son besoin d'écrire, presque viscéral. Un besoin qu'il assouvit durant ses longues phases de repli créatives, où la solitude est sa meilleure amie. Puis très vite, il parle de littérature. Celle qu'il aime, celle qu'il défend... Entretien avec un rêveur à la langue bien pendue.

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Crédits photo : Didier GAILLARD/Opale


Une interview réalisée par Adrien Lablanche.

 

De quoi avez-vous besoin pour commencer à écrire ?

De calme, avant tout. Et de solitude. Je recherche l’isolement. Il faut absolument que je m’installe dans une routine d'écriture. Je mène alors une vie simple, pendant laquelle je ne voyage pas, je ne me déplace pas. Je vis comme un ermite et je suis assez irritable. C’est la première étape. Je réalise un brouillon détaillé et je me confronte aux mots. C'est une phase de repli.

 

Combien de temps cette « phase de repli » dure-t-elle ?

Elle s'étale sur une année. C'est la plus longue.

 

Et puis... ?

La deuxième étape intervient : c’est la phase d’ouverture. Le gros du travail est accompli. Le livre est déjà joué. C’est la dernière ligne droite, je me dois d’être tonique, de donner un dernier coup de collier pour finir mon travail. Ces changements de rythme, qu'on retrouve d'ailleurs dans mes récits, sont nécessaires à la création d’un roman.

 

Votre femme et votre jeune fils vous supportent-ils dans ces moments créatifs ?

Ma femme est géniale car très compréhensive. Elle sait me laisser tranquille quand j'en ai besoin. Mais lorsque je deviens un « sale con », elle n'hésite pas à me le dire. Martin, mon fils de 6 ans, sait le métier que je fais. Dernièrement, il m'a demandé comment on fabriquait un livre. Il pensait que j'écrivais chaque exemplaire de mes romans (rires) ! Il sait que je dois m'isoler. Il respecte ces moments.

 

De quelle humeur êtes-vous lorsque vous écrivez ?

Je me sens bien, en pleine possession de mes moyens. Je n'ai peur de rien quand je suis lancé dans l'écriture. Et quand je suis confronté à une difficulté, j’aime ça. Elle me stimule.

 

Et une fois le roman fini ?

J'ai un sentiment de plénitude absolu. On peut dire que je plane. Mais très vite, c'est le doute qui s’installe. J'ai peur de ne pas être à la hauteur, et je m'interroge sur mon prochain livre.

 

Certains écrivains font lire leurs brouillons. Est-ce votre cas ?

Non. Je ne le fais jamais avant que mes textes ne soient terminés. J’attends que tout soit fini pour les soumettre à mon éditeur et à ma femme qui lit tous mes premiers jets. De toute façon, je suis une tête de mule et je n’en fais qu’à ma tête. Bien sûr, j’écoute les critiques et j’en tiens compte, mais ça reste des corrections de détails.

 

« Je n’écris pas pour les autres »

 

Ecrivez-vous pour vous ou pour vos lecteurs ?

Je n’écris pas pour les autres. Un écrivain écrit avant tout pour soi. Cela dit, il est nécessaire de se mettre dans la peau d’un lecteur universel pour savoir si le manuscrit est bon ou non. Si le livre me surprend et me plaît, je considère qu’il plaira aussi à au moins une autre personne.

 

Dans vos romans, il y a des personnages récurrents, qui sont un peu naïfs. Vous ressemblent-ils ?

Je veux avant tout créer des personnages qui me surprennent. Ils ont forcément un rapport avec moi, que ce soit par mimétisme ou par opposition. Mais c'est vrai que j’aime bien ceux qui sont un peu gauches, enfantins, les Pierre Richard. Comme le narrateur dans Les Béquilles [NDR : son premier roman] ou Hug-Cluq dans La traversée du Mozambique par temps calme. D’autres personnages m’attirent, les mystérieux, les mélancoliques. Je n'ai pas eu l'occasion de vraiment les mettre à l'honneur dans mes productions. Plus tard peut-être.

 

A l'université, votre thèse de littérature portait sur le merveilleux dans l'œuvre de Ionesco. C'est une thématique qu'on retrouve dans la plupart de vos livres. Pourquoi vous obsède-t-elle autant ?

Sûrement parce que j'ai beaucoup d'interrogations à ce sujet. Je suis croyant, je me pose de nombreuses questions sur Dieu et le divin. En fait, je m’intéresse au merveilleux au sens large, le divin étant le stade ultime du merveilleux. C’est l’essence de la littérature.

 

Vous n'appréciez que les œuvres faisant la part belle au merveilleux ?

Non. La preuve : mon roman favori est Bouvard et Pécuchet de Flaubert, où le merveilleux n'est pas immédiatement identifiable. C'est l'histoire d'un antihéros, avec beaucoup d'humour à froid.

 

Vous dites affectionner des écrivains tels que Ionesco, Julien Gracq, Claude Simon ou Flaubert. Si vous ne deviez en choisir qu'un, ce serait lequel ?

L'auteur que je préfère, c'est Maupassant. C’est lui qui m’a fait découvrir et aimer la littérature. Avant mes 18 ans, j'associais la littérature au fait de rester assis. Or, j’adorais bouger. Quand j’ai compris que la lecture n’était pas forcément liée à l’école, je l’ai appréciée. Je suis devenu un boulimique de la lecture, en six ans, j’ai du lire 6 000 livres ! (sic)

 

La littérature doit-elle obéir à des règles pour être de qualité ?

Oui. On ne peut pas décrire, par exemple, un port, sans observer ce qu’ont fait les écrivains précédents. Quitte à s’en inspirer ou s’en détacher. Il y a certains codes dont il faut avoir conscience. Il y a beaucoup de recherches à faire, c’est épuisant. Il me semble inconcevable d’écrire un roman sans savoir ce qui se faisait avant.

 

« L'écriture, quelque chose de très symétrique »

 

Vous imposez-vous d'autres règles ?

Il y a aussi des règles syntaxiques que je veux respecter. Une phrase, c'est : sujet verbe complément. J’y tiens. Je n’aime pas les phrases sans verbe. Le verbe constitue un point d’équilibre dans une phrase. L'écriture, c'est quelque chose de très symétrique. On ne peut pas faire n'importe quoi.

 

On ne peut pas dire que vous teniez le discours d'un écrivain avant-gardiste...

Non. De ce point de vue, on peut même dire que j’ai un côté très académique. Mais cela ne m'empêche pas d'être porté sur la modernité. Mes phrases sont classiques d’un point de vue syntaxique mais elles doivent décaper.

 

A quoi vous sert le fait d'écrire ?

C'est un moyen de continuer mes rêves d’enfant, de prolonger cet univers tranquille et harmonieux. Je recherche la plénitude, l’insouciance. Mais c'est une quête sans doute vaine... Grâce à la littérature, je mets aussi en forme des choses, je retranscris ce que j’ai en tête, mes sentiments. C'est la façon la plus efficace d'y parvenir, la plus complète aussi.

 

Les mots traduisent-ils tous vos sentiments, toutes vos émotions ?

Non... Il  y a des désirs indescriptibles. Des idées qu'il est impossible de coucher sur du papier. Le livre reste « con ». C'est un cadre formellement défini. Il est limité à son nombre de pages. La pensée, bien sûr, est plus vaste. La littérature la cloisonne forcément un peu.

 

En dehors de la littérature, avez-vous d'autres passions ?

Je pratique « le body board », le surf,  la marche, l'escalade… Le sport, c'est la seule façon que j'ai trouvé de m’évader et de penser à autre chose. Mais la littérature est ma préoccupation principale. J’y pense dès que je me réveille, quand je me couche, même mes rêves y sont liés. Je n'aime pas le terme « passion », il est trop restrictif. La littérature n'est pas une passion. C’est une nécessité. Elle est en moi. Son fantôme m’habite.

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