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18 février 2010 4 18 /02 /février /2010 16:21

Une chronique de Frédérique Bréhaut

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« On tente le coup ? » Sur cette formule, le Spécialiste recrutait des révolutionnaires prêts à défier la dictature de Pinochet. L’autocrate général a eu raison des meilleurs. Pourtant, trente-cinq ans plus tard, à l’appel du meneur discret, trois anciens militants rentrés d’exil se retrouvent dans un hangar, prêts à tenter un nouveau coup. Ils attendent celui qui les a réunis sans se douter que le fameux Spécialiste a été la victime collatérale d’une dispute conjugale. Un électrophone Dual passé par la fenêtre, et la figure de la gauche combattante gît, crâne fracassé sur le trottoir.

 

Dans Santiago noyée par la pluie, les sexagénaires trompent leur attente en ramenant à la surface quelques souvenirs. L’un a laissé l’amour de sa vie à Paris, un autre une partie de cerveau dans une salle de torture de Pinochet, Coco le cinéphile cultive une oisiveté professionnelle. L’exil les a essorés, pourtant, le temps de ces retrouvailles, ils projettent encore l’ombre de ce qu’ils avaient été, de jeunes idéalistes dogmatiques toujours poursuivis par les démons du passé.

 

10804.JPGEn dépit des revers, des chagrins d’amour, des échecs politiques, des années passées au loin, leurs utopies sont juste assoupies. La perspective d’un ultime coup d’éclat suffit à les réveiller. Le braquage d’un magot comme au bon vieux temps, ça a une certaine allure à défaut de compenser la jeunesse volée. « On ne revient pas de l’exil. Toute tentative est un leurre, le désir absurde de vivre dans le pays gardé dans la mémoire. Tout est beau au pays de la mémoire ».  Plutôt que de ressasser leur passé perdu par la faute d’un dictateur mort dans son lit, les anciens compagnons de lutte vaincus prennent le parti d’en rire. Ces Chiliens cabossés portent leurs désillusions avec panache.

 

Facétieux mélancolique, Luis Sepulveda enchante. L’irrésistible drôlerie de certains épisodes révolutionnaires n’efface pas la Moneda assiégée et la chute de Salvador Allende en 1973. Sous la fable parfois cocasse la mémoire est toujours là, à vif, flanquée de l’impossible pardon.

 

« L’ombre de ce que nous avons été » par Luis Sepulveda. Traduit de l’espagnol (Chili) par Bertille Hausberg. Métailié. 160 pages. 17 €.

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